lundi 15 octobre 2007

La nouvelle bataille du canal de Panama

La nouvelle bataille du canal de Panama

De notre correspondant en Amérique centrale FRÉDÉRIC FAUX
15/10/2007 | Mise à jour : 12:51 |
.

Expansion du canal au Panama, percement d'une voie d'eau au Nicaragua... La région multiplie les initiatives pour profiter de la croissance du commerce international. En annonçant, début octobre, un projet de grand canal interocéanique à travers son pays, Enrique Bolanos, le président du Nicaragua, vient de relancer une bataille qui couvait depuis plus de quatre siècles.

Le canal de Panama, unique point de traversée maritime du continent américain, pourrait-il avoir bientôt un concurrent ? L'idée d'un canal nicaraguayen, qui s'est imposée dès l'arrivée des premiers conquistadors, est une véritable antienne de l'histoire centraméricaine. Car si la traversée est ici plus longue que celle du Panama - 280 km contre 80 -, elle offre de considérables avantages : les terres les plus basses de la région et d'abondantes ressources hydrographiques.

Arrivant des Caraïbes, les bateaux peuvent remonter le rio San Juan jusqu'au lac Nicaragua, la plus vaste étendue d'eau douce d'Amérique centrale ; de sa rive ouest, il ne reste alors plus qu'une quinzaine de kilomètres à creuser dans la montagne, à équiper d'écluses avant de déboucher sur le Pacifique.

Face à cette évidence géographique, le roi Philippe II d'Espagne avait ordonné, dès 1567, à ses ingénieurs d'étudier cette prometteuse route commerciale. En 1851, lors de la ruée vers l'or californien, le magnat new-yorkais Cornelius Vanderbilt l'utilise pour faire transiter les pionniers venus de la côte Est. Des milliers de va-nu-pieds vont naviguer jusqu'à la mer des Caraïbes, poser leur baluchon sur les quais de San Juan del Norte, emprunter un réseau de ferries jusqu'au Pacifique, pour embarquer à destination de Los Angeles.

Poussant leur avantage, les États-Unis négocient un demi-siècle plus tard un traité avec le Nicaragua pour le percement d'un canal. Toutes les conditions semblent réunies. Les Panaméens, qui viennent d'obtenir leur indépendance, effraient alors le Sénat américain avec un timbre-poste nicaraguayen représentant un des volcans locaux. Ne voulant prendre aucun risque, les législateurs décident de finir les travaux engagés par le Français Ferdinand de Lesseps et de construire leur canal au Panama, même si ce dernier itinéraire ajoute 800 kilomètres à la route maritime entre New York et Los Angeles.

Un siècle plus tard, le temps du Nicaragua est-il enfin venu ? De serpent de mer resurgissant régulièrement de l'oubli, ce canal, mythique est devenu un projet réalisable, chiffré, et soutenu par les autorités locales. Les travaux, estimés à 18 milliards de dollars, pourraient être achevés en 2019. La future voie maritime serait deux fois plus large que sa rivale panaméenne, permettant le transit des bateaux de 250 000 tonnes. Reste encore à trouver les investisseurs prêts à relever le défi, le Nicaragua, deuxième pays le plus pauvre d'Amérique latine, étant incapable de l'assumer. Enrique Bolanos, qui affirme avoir des contacts sérieux avec les Russes et les Chinois, est persuadé que « ce vieux rêve est plus nécessaire et faisable que jamais ». « La croissance galopante du commerce mondial demande un canal additionnel à celui de Panama, plaide-t-il, et le Nicaragua est le meilleur endroit pour le construire. »

Mais cette explosion des échanges n'a pas, non plus, échappé au Panama par où transitent 20 % du commerce maritime mondial, hors pétrole. Depuis quelques années, à cause notamment de l'augmentation des liaisons entre la Chine et les États-Unis, les navires en transit doivent réserver leur passage plusieurs mois à l'avance. Faute de quoi ils peuvent attendre jusqu'à quatre jours devant Panama City, côté Pacifique, ou devant le port de Colon, côté Atlantique, avant de franchir l'isthme.

Soucieux d'éviter la saturation annoncée entre 2009 et 2012, le Panama a donc annoncé en juin sa riposte : un projet d'expansion de 5,2 milliards de dollars, centré autour de la construction d'un troisième jeu d'écluses. Avec des « chambres » aux dimensions de cathédrales - 427 mètres de long, 55 mètres de large, 183 mètres de profondeur -, elles permettront le passage des nouveaux cargos « post-Panamax », trop larges pour passer les écluses actuelles. Pour le président Martin Torrijos, fils du général putschiste Omar Torrijos qui avait arraché aux États-Unis un traité aboutissant en 2000 au retour de la souveraineté panaméenne sur le canal, il ne s'agit pas moins « de la plus importante décision » concernant cet ouvrage ouvert à la navigation en 1914. Les travaux seraient financés par une augmentation progressive des tarifs de péage et par un prêt remboursable en dix ans, afin de ne pas grever les finances d'un État déjà lourdement endetté. Et comme tout ce qui concerne le canal, véritable trésor national, ce sont les Panaméens eux-mêmes qui donneront, ou non, leur accord à ce projet, lors d'un référendum qui se déroulera le 22 octobre.

Car l'expansion du canal ne fait pas l'unanimité au Panama. Avant même le premier coup de pioche, elle est vilipendée par le Parti panaméiste, principale formation d'opposition, qui dénonce ce « gaspillage » dans un pays où 40 % de la population vit dans la misère. Les partisans de l'aménagement, pour leur part, font planer la menace nicaraguayenne afin de convaincre les électeurs. « Le président Enrique Bolanos a démontré que le Nicaragua était sérieux, que son projet de canal n'avait rien d'une spéculation ou d'une aventure, assure Adolfo Ahumada, directeur de l'Autorité du canal du Panama. Nous avons passé tout le XXe siècle à lutter pour notre canal et pour obtenir sa souveraineté ; aujourd'hui, nous n'allons pas commettre l'erreur de le laisser devenir obsolète. »

Le canal de Panama, à lui seul, assure 18 % du PIB, 20 % de l'emploi local. Son aménagement entraînerait la création de 40 000 emplois. Une manne que peu de Panaméens voudraient compromettre. Dans les derniers sondages, publiés cette semaine, entre 72 % et 77 % des habitants de ce petit pays se disaient prêts à voter oui au référendum.


http://www.lefigaro.fr/reportage/20061013.FIG000000064_la_nouvelle_bataille_du_canal_de_panama.html